17
et 18 novembre 2003
-Pourquoi
avez-vous choisi d'exposer ensemble ?
C'est
Philippe Guesdon qui en est à l'origine. Les deux artistes exposaient
dans la même galerie sans se connaître. Lors d'une exposition dans
un lieu de grande dimension il a demandé à la galeriste d'inviter
J.L.Stoskopf pour "habiller "le volume de la pièce car il
trouvait des correspondances dans leurs travaux qui s'appuient tous
deux sur le graphisme. "L'œil peut aller d'une œuvre à
l'autre ; il se crée ainsi un rythme dans la présentation par
alternance. On cherche des accords, des correspondances. On augmente
alors l'émotion du regardeur."
-Vous
influencez-vous l'un l'autre ?
Les
deux artistes vivent loin l'un de l'autre donc ne travaillent pas
ensemble. Ils ne se côtoient qu'au moment des expositions, l'un
cherchant toujours à émerveiller l'autre par son travail récent.
Chacun est le meilleur spectateur du travail de l'autre.
Tous
les deux travaillent par" bandes". Si celles de Guesdon
proviennent du "démontage" du dessin qui lui sert de
matière première, celles de Stoskopf sont nées de l'outil qui ne
scie qu'une épaisseur de 6 centimètres. Pour l'un et l'autre, ce
découpage équivaut à une fragmentation du temps.
-M.Guesdon,
pourquoi avez-vous choisi de peindre "abstrait" ?
Malgré
les apparences P. Guesdon n'est pas un peintre abstrait. Pour
travailler, il a besoin d'un point de départ figuratif . Il est
fasciné par le vide si bien qu'à ses débuts il a commencé par
peindre les vides qui se dessinent sur le ciel entre les feuilles des
arbres ; les vides des balcons de Paris ; les vides de dentelles
qui se trouvaient dans un tiroir chez lui ; les vides des écritures :
celle de Van Gogh, la sienne ; et depuis quelques années, à
partir des bois gravés de DÜRER. "Le sujet ne fait pas le
tableau, c'est la manière de le traiter, ce que le peintre apporte de
lui-même", a ajouté M. Stoskopf.
-quelle
est votre méthode de travail ?
Je
découpe la gravure en plusieurs parties et chaque partie en lanières
que je réorganise en évacuant l'anecdote, ce qui fait image, mais en
conservant l'ossature de l'œuvre. C'est une opération de
démontage-remontage qui élimine le figuratif bien qu'il soit
toujours dessous. Certaines de ses recherches, classées,
numérotées, deviendront des peintures. Les artistes brouillent
les pistes. Ce sont des illusionnistes qui modifient l'ordre des
choses.
-Pourquoi
la toile froissée ?
Un
jour, j'ai vu l'une de mes toiles se refléter dans la laque noire du
piano de ma salle à manger. Et ce reflet était beaucoup plus
intéressant que la peinture elle-même parce que l'image ondulait.
Pour retrouver cet effet j'ai eu l'idée de froisser la toile. Ainsi,
la peinture réagit autrement sur la surface à cause des creux et des
bosses qui font jouer la lumière.
-quelles
sont les étapes de votre travail?
Il
y a d'abord les recherches que je conserve dans un classeur, puis il y
a trois lieux différents :
-au
sol : je fais tremper la toile neuve, je l'essore et je la mets à
sécher à plat sur du feutre.
-au
mur : je projette ou j'agrandis la recherche que j'ai choisie
-sur
la table : je peins. C'est l'étape que je préfère, suivie de
l'accrochage car " la peinture commence à vivre dès qu'elle
quitte l'atelier"
-Pourquoi
ces titres portant un numéro ?
Ils
correspondent à la manière de démonter l'image de départ.
-"LECTURE"
pour un démontage horizontal
-"PASSAGE"
pour un démontage vertical
-"EFFIGIE"
car c'est un travail sur les visages.
Le
numéro correspond à celui de la recherche inscrit dans le classeur.
Ces titres n'apportent pas une interprétation de ma part; ainsi le
tableau devient la propriété de celui qui le regarde.
-Comment
choisissez-vous les couleurs?
Il
n' y a pas de règle. A partir d'une émotion! Ainsi, la couleur
orange provient de celle d'une rose dans le jardin de Bagatelle. Ca
peut aussi être celle de la rouille déposée sur un métal, la
couleur d'un toit. Ensuite les couleurs "s'appellent". Elles
sont mélangées au fur et à mesure de la peinture et il n'y a pas
plus de trois nuances car au-delà, l'œil ne compte plus.
-Le
cerne est-il indispensable ?
Forme
et fond ne se touchent jamais. Cette "réserve" s'apparente
à ce que Braque appelle "l'entre". C'est comme cette bande
qui vibre entre le ciel et la mer. Le cerne est l'équivalent du
silence en musique, c'est une respiration.
-Monsieur
Stoskopf, quelle est l'origine de votre nom ?
Il
est d'origine celtique et je suis alsacien. Mon grand-père, a changé
sept fois de nationalité ! Tantôt allemand, tantôt français.
-Pourquoi
avoir choisi le bois ?
C'est
un hasard. J'ai d'abord été peintre et ça me fatiguait la tête et
pas le corps. Un jour j'ai reçu une livraison dans une caisse en bois
et au même moment une galerie me demandait une œuvre sur le thème
de la main. J'ai découpé ma main dans une planche de la caisse, je
l'ai poncée, polie, découpée en puzzle et je me suis rendu compte
du rapport entre les lignes de la mains et les lignes du bois.
C'était en 1974. Le bois est un matériau facile à travailler, peu
onéreux, qui demande peu d'outils et avec lequel on est
quotidiennement en contact. Le bois raconte toujours quelque chose.
Avec lui, on remonte le temps, on retrouve le geste des ancêtres.
Faire des incisions c'est marquer le temps qui passe ; répéter le
même geste c'est arrêter le temps. Quand on va au cœur de l'arbre,
on remonte vers son origine, on remonte le temps.
-Faites-vous
un croquis avant de sculpter ?
Je
ne fais jamais de croquis car ce serait exécuter ce que j'ai déjà
fait, ce serait copier ! Je ne pars pas du figuratif, mais du concret.
Le bois porte en lui une écriture avec laquelle je ne dois pas entrer
en contradiction : ses fibres, ses veines, ses nœuds, ses accidents,
ses blessures.
-quelles
sont les étapes d'une sculpture ?
Il
y a d'abord l'envie. Il faut qu'un morceau de bois m'appelle. Certains
restent des années dans l'atelier et un jour ils sont choisis. Il y a
une sorte de joie, d'ivresse, les mains s'agitent échappent à mon
contrôle et c'est la naissance d'une nouvelle idée. Ensuite c'est un
travail de répétition, besogneux, avec des outils électriques très
simples : une scie sauteuse, une scie à chantourner, puis les
ponceuses. C'est un travail par érosion et frottement et non un
travail traditionnel avec des gouges. C'est l'outil qui ne peut pas
scier plus de six centimètres d'épaisseur qui m' a contraint à
travailler en strates. Et ces lamelles collées sont plus solides que
la masse.
-Pourquoi
ne sculptez-vous que des formes rectangulaires ?
Mes
sculptures sont des sculptures de peintre. Ce sont des animations de
surface avec des pleins et des vides. Leur présentation en rectangle
est une survivance du tableau.
-Que
voulez-vous évoquer avec les sculptures hautes et fines ?
Je
les appelle totems parce qu'elles sont dressées et debout. Je
retrouve ainsi la verticalité de l'arbre et de l'homme. Elles sont un
lien entre les forces matérielles, le sol, et les forces
spirituelles, le ciel.
-A
quoi pensez-vous l'un et l'autre quand vous travaillez ?
Stoskopf
: En fait, il ne faut pas trop penser pour ne pas casser la magie,
pour retrouver l'innocence et la fraîcheur. Les choses viennent pour
ainsi dire comme ça, dans la facilité.
Guesdon
: ça dépend à quel moment. Il me faut beaucoup de concentration au
moment de la réflexion. Au moment de l 'exécution je peux travailler
en écoutant de la musique.
A
Riscle, les 17 et 18 octobre 2003
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