Michel Saint Lambert vit et travaille à Tours. Il est éducateur. Né à la Réunion, il est arrivé en 1973 à l’âge de seize ans en France dans le cadre de l’émigration mise en place par Michel Debré pour officiellement contribuer au repeuplement des départements français touchés par l’exode rural. Entre 1963 et 1981, 1630 enfants ont ainsi été transférés par l’intermédiaire de la DDASSde la Réunion et du Bureau pour le développement des migrations des départements d’Outre-mer (le BUMIDON). Le Gers a été concerné par ce programme qui a donné lieu à des drames humains. Une plainte déposée en 2000 par une victime contre l’état français révèle au grand public l’affaire connue sous le nom des « Enfants de la Creuse »
« Les enfants de la Creuse » de Jean Jacques Martial
« Enfants en exil » de Ivan Jablonka
L’oeuvre de Michel Saint Lambert est liée à son histoire personnelle. Aîné dune famille nombreuse dont l’avenir s’annonce difficile dans l’ile surpeuplée et pauvre de l’île de La Réunion, il accepte à la fin de sa scolarité obligatoire et en accord avec sa mère, de partir en métropole dans le cadre du Bumidon. Il est accueilli dans une famille d’agriculteurs qui ont des enfants, et poursuit ses études. Il ne savait pas qu’on lui offrait un voyage sans retour. Il ne savait pas ce que lui coûteraient le déracinement, l’arrachement à ses proches, à son île, à sa culture, à sa langue. Le dessin dans des carnets secrets, les peintures jamais montrées sont pour lui le moyen de confier ses blessures. Tout lui est douleur, une douleur muette : la couleur de sa peau, le climat, les règles de vie, l’impossibilité de parler créole....Il réussit cependant bien à l’école. De ce côté là tout se passe bien, si ce n’est ce mal être... Les dessins s’entassent, se distribuent, s’offrent à qui les trouve bien.
Il montre ses dessins, jusqu’au jour où ses amis peintres l’incitent à les présenter de manière professionnelle. Dès lors, cette forme de reconnaissance lui donne l’envie de s’affirmer et lui fait prendre conscience qu’il a quelque chose de personnel à dire à la fois dans la forme et dans le fond. Les dés sont jetés. Michel se reconnaît et est reconnu comme artiste.
Michel St Lambert n’est pas à la recherche de matériaux coûteux pour s’exprimer. Habitué à l’économie et à la débrouille depuis son plus jeune âge, n’importe quel papier ou carton fait office de support. N’importe quel outil, n’importe quel matériau entrent dans son minuscule atelier. L’important c’est de pouvoir coucher sur un un plan ce qui se bouscule dans ses tripes. Si le ventre est notre deuxième cerveau, chez Michel St Lambert il prend la première place. Son dessin est allusif, le motif est suggéré, son vocabulaire est réduit à quelques formes qui reviennent sans cesse comme une obsession : un buste masculin, des têtes de femmes, des fleurs réduites à quelques pétales, des mots, des chiffres... La palette colorée est réduite, beaucoup de bruns, et un peu de bleu, de rouge, de vert « bleu l’océan, rouge le volcan et les fleurs, vert la végétation » de son île natale. Tout cet inventaire qui interpelle le regardeur renvoie à un passé qu’il tente d’exorciser par le procédé de la répétition. Il doit se convaincre de ce qu’il a vécu, le faire sien jusqu’à le sublimer. La surface sans profondeur est composée de plages rectangulaires qui s’entrelacent comme des souvenirs qui s’effacent sans jamais disparaître. Comme une trace indélébile que le temps polit et embellit. Il n’y a pas de brutalité dans le geste, une sorte d’application maladroite qui renvoie à la volonté du bien faire de l’enfance. On ne relève aucun souci de la représentation, ni de l’échelle. La taille des personnages est proportionnelle à leur importance sentimentale, à la place qu’ils occupent dans la mémoire du peintre. Ainsi ce chien, lorsque libéré de sa chaîne mordit les mollets des garnements qui le narguaient chaque jour. Ainsi cette tête d’homme, masse sombre, de profil, toujours tournée vers la gauche, vers le passé. Autoportrait peut-être , à moins que ce soit l’icône de tous les déracinés. Michel indique qu’il a du mal à représenter les traits d’un visage mais celui des femmes est dessiné au pinceau fin apportant un peu de légèreté et d’insouciance face à ces masses sombres qui pèsent sur l’ensemble. Cependant, après avoir regardé la trentaine d’oeuvres, on remarque que peu à peu, la silhouette perd sa couleur noire au profit d’un gris tendre et qu’elle se tourne maintenant vers la droite, vers l’avenir. Le tableau s’épure, un basculement s’opère, le fond vire au blanc, s’aère, le pinceau se fait plus alerte et du coup, le tableau gagne en légèreté et optimisme. « Blanc noir , noir blanc, mais moi je suis unic » dit Michel dans l’un de ses carnets intimes qu’il a bien voulu me confier et dans lesquels j’ai puisé les citations apposées sur les murs. Elles aident à mieux apprécier la personne, à comprendre son oeuvre . Van Gogh disait : « Chez les artistes, j’accorde autant d’attention à l’homme qui fait l’oeuvre qu’à l’oeuvre elle même » , mais ici elle est en passe de dépasser l’homme pour toucher à l’universalité. Les actualités du moment ne peuvent que nous en convaincre.
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